Belle-Île-en-Mer (printemps 2004) fiction
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Avril 3004
Excellent voyage, tout simple : nous avons pris le T.T.G.V. du nouveau tunnel sous la Manche, bifurqué en direction de l’île de Sein, puis le viaduc Brest-Quimper-Quiberon, et de nouveau le tunnel – aux parois vitrées – de Quiberon à Le Palais.
Là, dépaysement total : nous avons dû quitter nos combinaisons étanches et nos masques à air respirable, pour nous retrouver tout nus. L’île est en effet l’une de nos seules réserves héliomarines, et nous avions tous droit à ces quelques jours de remise en forme aux-normes-ultra-européennes.
Notre groupe est le plus sympa des cinquante-sept groupes qui ont débarqué en même temps sur l’île. D’abord, nous sommes les plus jeunes, étant âgés seulement de cent dix à cent vingt-cinq ans, et les mieux organisés avec notre société BASSÉE EN BALADES INTERPLANÉTAIRES. Donc, nous avons tout de suite pris l’ascenseur pour l’Auberge de l’Éternelle Jeunesse, à côté de la citadelle. Là, nous attendait un fameux repas composés de trente-six boîtes de médicament et d’un choix de glaces aux quarante-cinq mille parfums. Avant d’aller dormir, nous avons visité l’antique auberge de jeunesse avec une chambre d’époque, chaussettes sales sur le radiateur, matelas défoncé, lit à deux étages encombré de linge humide. Nous étions bien contents de nous retrouver tous ensemble sur notre lit de groupe, cent mètres de long sur trois mètres de large, avec sifflement et coups de pied automatiques pour les ronfleurs.
Le lendemain, il faisait très beau, comme la météo l’avait prévu depuis l’an dernier. Nous avons tous pris en file indienne, le tapis roulant côtier ; très sportif, il fallait bien se retenir sur les rampes pour ne pas glisser sur les rochers. Évidemment, personne n’avait besoin de crème solaire, vu que nous avons tous la peau naturellement foncée, voire très foncée après plusieurs siècles de métissage. Nous avons admiré la maison de Sarah Bernhardt qui se trouve sur un petit îlot à cinquante mètres de la côte. On nous a montré l’unique cormoran de Belle-Île, trois fleurs artificielles et des goélands apprivoisés qu’on promène sur la plage au bout de leur laisse.
Nous avons eu le droit de mettre une fois la main dans la mer sans danger, elle est bien peu polluée par ici. Puis, nous avons visité la fabrique de génépi, boisson typique des années deux mille quatre, et fait nos dévotions à la sacro-sainte et unique chaussure, culte païen qui date aussi de ces périodes reculées. Le soir, tous réunis autour de notre potion reconstituante, après tous ces efforts, nous nous sommes racontés des histoires drôles sur les blancs et les hétéros qui représentent encore quinze pour cent de la population. Enfin, on nous a montré un film et des photos sur des randonneurs de notre société à l’époque de son Fondateur, le vénérable JLQ – le GRAND CHEF – et, malgré leurs godillots boueux, leurs pieds usés sur des chemins non automatisés, malgré leurs coups de soleil sur leur peau blanche, malgré des condition de vie aussi extrêmes, ils avaient pourtant l’air bien heureux, et nous auraient fait presque envie, si nous étions capables de ce sentiment, ou d’un autre d’ailleurs.
Voilà, il est temps de partir, les prochaines vacances sont programmées dans dix ans… Paraît qu’on ira pêcher la truite artificielle dans le Cantal !
Fait à Le Palais, M.-J. S.