Belle-Île-en-Mer (printemps 2004) littéraire j3
Mardi 26 avril : Pointe des Poulains - Grotte de l'Apothicairerie - Port Donnant - Le Palais[ ]
Départ 8 heures 45 ; nous descendons au port pour prendre le bus à 9 heures 15. Guillaume, le guide de la Maison de la Nature, nous rejoint. Jean-Luc a en effet prévu une matinée avec commentaire faune et flore sur un trajet qui va de la Pointe des Poulains à la Grotte de l'Apothicairerie où est prévu le repas, soit 9 km. Pique-nique prévu à 12 heures 30. Après-midi, soit retour direct vers Le Palais, soit marche de la grotte vers Port Donnant (2 heures 30), puis retour en bus ou à pied.
Quand nous arrivons à l'arrêt des bus, un autre groupe est déjà présent ; il n'y a pas de place pour tout ce monde, mais le problème est vite réglé : le patron des bus affrète un autre véhicule, et on se met d'accord pour le retour. Ici tout est modulable selon les besoins des touristes, surtout lorsqu'ils sont par paquets d'une trentaine. Arrivée à 9 heures 30 à la Pointe des Poulains. Toutes les indications qui suivent proviennent des explications claires et bien informées de Guillaume.
Souffle un vent du Nord, ce qui est inhabituel, les vents dominants étant d'ouest ou de sud-ouest ; c'est la raison pour laquelle la côte nord est appelée « la côte abritée ». Îlot des Poulains (on n'a pas le temps d'y aller, il est accessible à marée basse). Il est connu du monde entier par la photo de Phillip Plisson. Il porte un des trois phares de Belle-Île, les deux autres étant ceux de Kerdonis au nord, de Locmaria au sud et le phare du Goulphar (appelé encore Grand Phare de Kervilahouen) près de Bangor. Le Conservatoire du littoral aménage aujourd'hui le site dégradé par le piétinement.
À la pointe des Poulains, la mer semble calme, mais il y a des brisants au large ; la pointe tient son nom de l'écume des vagues. L'eau turquoise, près du rivage, est due à la clarté des fonds. À la Pointe des Poulains, les falaises ont vingt-cinq à trente mètres de hauteur ; vers Locmaria, elles sont quarante-deux mètres au-dessus de la mer.
Belle-Île jouit d'un climat privilégié : 30% de la flore est méridionale ; les tamaris, et les cinéraires aux feuilles cendrées, ont été apportés par Sarah Bernhardt.
La maison de Sarah Bernhardt, appelé « le fortin », appartient aujourd'hui au Conservatoire du littoral ; le fortin, construit au milieu du XIXe siècle, pour faire face aux convoitises anglaises, a été acheté en 1893 par Sarah Bernhardt ; elle l'a occupée jusqu'à sa mort en 1923. Elle a fait construire « la villa Louisiane », à quelques mètres du fortin. Le Conservatoire a pour projet de restaurer l'environnement paysager et culturel de Sarah Bernhardt. Le but du Conservatoire du littoral est d'acquérir un tiers des côtes françaises.
L'oiseau rencontré le plus fréquemment sur ce rivage est le goéland, à ne pas confondre avec la mouette. Outre le goéland argenté, dont la colonie est la plus importante, on trouve le goéland brun, aux pattes roses, et le goéland marin, aux pattes jaunes, dont l'envergure peut atteindre un mètre soixante-dix, et capable d'attaquer de jeunes oiseaux. Les jeunes goélands ont une livrée marron. Le goéland argenté, lui, a une tache rouge sur le bec : quand il rentre au nid, les petits tapent sur ce point rouge et le goéland régurgite la nourriture pour les petits. Les goélands se nourrissent, entre autre, de vers qu'ils font remonter à la surface en piétinant les pelouses ou en suivant les tracteurs lors des labours ; ils se rassemblent aussi autour des bateaux qui chalutent et des décharges où ils trouvent une nourriture abondante.
Les cormorans, contrairement aux goélands, ont des ailes perméables à l'eau pour améliorer leur aérodynamisme sous la mer, ailes qu'ils doivent ensuite faire sécher au soleil en les étendant.
Les mouettes sont plus petites que les goélands. La mouette rieuse est la plus commune : plumage noir sur la tête en été et point noir derrière la tête.
Autres oiseaux observés : l'huîtrier pie, mais aussi un faucon pèlerin, des hirondelles et des engoulevents (qui mangent des insectes en rase motte, comme les martinets), une alouette, des craves à bec rouge qui ressemblent à des corneilles.
La végétation doit elle aussi s'adapter aux conditions naturelles : les vents soufflent jusqu'à cent quarante kilomètres par heure, les embruns amènent des dépôts importants de sel ; aussi la végétation est rare sur le rebord de la falaise et, quand elle existe, elle est abîmée par le piétinement des touristes : cinquante mille personnes séjournent sur l'île en été. Ainsi, le Conservatoire du littoral a tracé des chemins et isolé des parcelles qui sont remises en végétation.
En avançant sur le sentier vers le sud, nous rencontrons un golf sur le bord du littoral. La loi « littoral » de 1985 interdit toute construction humaine à moins de 100 mètres du rivage ; la loi de 1986 impose une servitude de passage, de trois mètres (dit sentier des douaniers). Mais, puisque le golf est antérieur à 1985...
Nous observons le travail de la mer sur la falaise ; ainsi elle a creusé un puits, qui provient d'une ancienne grotte formée par la mer, grotte dont « le toit » s'est effondré (puits de la Baghen-Hir).
Nous arrivons au second site du Conservatoire, la pointe du Vieux Château (Koh Kastell), siège d'une colonie de goélands bruns, dans ce que l'on appelle la réserve.
La présence et les convoitises humaines ont aussi modelé le paysage. Dans le passé, Belle-Île a été très convoitée, à cause de ses réserves en eau potable et de sa position stratégique. Le guide nous fait observer « un éperon barré », une surélévation de terre qui permet d'observer sans être vu. Les traces les plus anciennes d'occupation humaine à Belle-Île remontent à trois cent mille ans ; Belle-Île était alors rattachée au continent. Sur les pointes de Belle-Île, il y a des buttes : les populations locales se réfugiaient sur ces presqu'îles pour se protéger d'envahisseurs provenant de l'intérieur de l'île. À l'époque romaine, lorsque l'île s'appelait Vindilis, ont été construits des oppidums (fortifications romaines). Au XVIIIe siècle, les Anglais et les Hollandais convoitent l'île pour l'eau douce, ce qui amène Vauban a développer et remanier les fortifications -- les Anglais occupent Belle-Île pendant deux ans entre 1761 et 1763. Lorsque les falaises sont moins hautes ou inexistantes, comme sur la plage des Grands Sables, à l'est de l'île, sur la côte abritée, il y a des fortins et des fortifications.
Notre marche nous conduit à la ria de Stêr-Vraz. Une « ria » est une avancée de la mer dans la terre. Le terme « aber » est le mot finistérien pour désigner une ria ; on dit aussi « rivière » (la « rivière de Morlaix »). Nous y observons des cormorans huppés (oiseaux noirs avec aigrette), des traces d'occupation romaine et une motte féodale. Sur l'autre rive il y a une « contre ria » (ria secondaire) : Stêr-Oueh. Presque partout la roche est schisteuse ; c'est le matériau avec lequel sont construites les maisons anciennes. Une roche schisteuse est issue primitivement d'une matière volcanique datant de 400 à 600 millions d'années, des nuées ardentes qui sédimentent dans les lagunes et qui donnent un tuf volcano-sédimentaire. Avec de l'eau et un début de métamorphisme, apparaissent des filons de quartz, qui constituent dix pour cent des roches de Belle-Île.
La flore est adaptée aux conditions difficiles : tout près du bord de la falaise, la végétation se développe horizontalement ; le guide nous fait observer du plantain caréné, du plantain corne de cerf, et de l'armérie maritime, plante qui pousse horizontalement et qui a des feuilles grasses et est ainsi adaptées aux conditions difficiles du climat. Cette végétation pauvre constitue ce qu'on l'appelle « la pelouse littorale » et « la pelouse écorchée » pour des raisons évidentes. Quelques mètres en retrait de la côte, l'ajonc d'Europe aux tiges piquantes et à fleurs d'un jaune éclatant, arrive à se développer dès que les vents sont moins violents et les embruns salés moins importants, et, un peu plus loin encore du rebord de la falaise, arrivent à pousser des végétaux plus hauts, mais point d'arbre, nous l'avons constaté tout au long du parcours de cette journée.
Quand les conditions le permettent, on trouve, sur la pelouse, de la silène maritime, des orchidées sauvages mauves, des asphodèles, fleurs à hampes blanches assez nombreuses sur Belle-Île. Le « nombril de Vénus », ainsi nommée à cause de la forme de ses feuilles grasses, pousse dans les murets. On trouve de très nombreuses violettes naines.
Nous entendons le chant des grillons et le guide nous fait observer un oiseau noir au long bec, le chevalier gambette.
À la plage de Stêr-Vraz, le guide nous explique la formation récente du marécage que nous apercevons à quelques mètres de la côte. La houle a détruit, il y a cinquante ans, une fortification ; un cordon dunaire s'est formé, et un marécage est apparu. Le phénomène s'étant reproduit plusieurs fois au cours des temps géologiques, on trouve sur la plage de la tourbe fossile qui date de 3000 ans environ et qui s'est formée lors d'une ancienne phase marécageuse : habituellement, des bactéries et des micro-organismes transforment les débris végétaux en humus ; mais, quand il y a un marécage, le manque d'oxygène bloque la formation d'humus et la tourbe apparaît.
Un vallon bellelilois est creusé par les transgressions et régressions marines et les eaux de ruissellement. Il y a cent ans, tous les vallons étaient cultivés ; la terre qui descendait en bas du vallon était régulièrement remontée. Belle-Île, comme toute la Bretagne, est d'abord une terre agricole avant d'être le domaine de la pêche. Aujourd'hui, il reste quarante agriculteurs à Belle-Île ; la surface cultivée est suffisamment importante sur le plateau, et les vallons ne sont plus mis en valeur. Sur les vallons laissés en friche, s'installent le prunier sauvage et les fougères. Les orchidées et les oiseaux nicheurs des prairies disparaissent. Notre guide en profite pour nous faire une petite leçon : la biodiversité n'est pas liée à l'évolution naturelle, puisque ici quand le prunier se développe, la biodiversité disparaît. C'est au contraire l'activité agricole qui permettait un développement de la diversité biologique. L'agriculture est aujourd'hui centrée sur un élevage extensif : agneau, vache, lait. Il y a cent ans, on cultivait le blé. L'évolution du paysage est donc liée à une perte de valorisation agricole et à une baisse de la biodiversité. Les pins maritimes et les tamaris sont des plantes d'importation, le saule est une plante endogène. La lande n'existe que parce qu'on l'entretient par des coupes régulières.
Nous arrivons à la grotte de l'Apothicairerie, qui doit son nom aux « bocaux » que semble avoir sculptés la mer dans la grotte comme dans une boutique d'apothicaire. Autrefois on pouvait y descendre, mais aujourd'hui la descente en est interdite pour des raisons de sécurité.
Nous prenons le repas sur le parking où nous quitte notre guide dont nous avons apprécié la compétence, la patience et la clarté.
L'après-midi, nous continuons l'exploration de la côte sauvage par le sentier côtier jusqu'à Port Donnant où les uns prennent le bus pour rentrer à Le Palais et quelques uns reviennent à pied par l'intérieur des terres.
Le soir, après un apéritif et un repas joyeux, Michel nous propose la projection vidéo d'un court métrage de fiction « Pas d'âge pour les braves », un film de Franck Moreau, qui présente la discussion de deux alcooliques dans un café de Haisnes-lez-La-Bassée), siège d'un club de supporter du Racing Club de Lens. Les talents d'acteur de Michel, dont nous avions déjà eu un aperçu, sont ici évidents. Bernard présente le film comme dans un ciné-club ; Marie-Charlotte, à l'issue de la projection, offre un bouquet (de fleurs des champs) à l'acteur, puis l'acteur régale son public avec de la chartreuse. Ne pouvant lui offrir un César, nous le couronnons en empereur romain et le revêtons d'une toge faite d'un drap de lit… Belle ambiance.