Tour des Écrins (été 2013)/littéraire/j6
Vendredi 19 juillet, de Vallouise (1150 m) au refuge du Pré de la Chaumette (1790 m)[ ]
Le vallon du Fournel
Matinée, Pont des Deslioures (1560 m) – Pas de la Cavale (2735 m)[ ]
En préambule, il faut noter la modification d’itinéraire que Jean-Luc a dû concocter pour éviter le col de l’Aup Martin (2761 m), vivement déconseillé par les gens du cru, car encore très enneigé voire glacé.
Les taxis viennent nous enlever au gîte à 7 heures 30 pour nous déposer dans un parc à moutons à l’Ourmande, peu après la Salce (1541 m) en face du pont des Deslioures (1560 m), fermé. Il donne accès à la Réserve biologique des Deslioures, créée par l’ONF en 1993 et qualifiée de plus grand sanctuaire mondial du chardon bleu, une ombellifère appelée aussi reine des Alpes ou panicot des Alpes, actuellement protégé car en voie de disparition. À cette époque de juillet la plupart des chardons sont défleuris mais on imagine aisément la beauté de ces pentes bleues. Les lys martagon sont aussi nombreux dans le secteur. Ces trois quarts d’heure de route en remontant le vallon du Fournel nous évitent quelques heures de marche sans saveur et notre conductrice s’épanche avec délices sur sa région.
Ce vallon du Fournel, beau vallon glaciaire suspendu, débouche sur la vallée de la Durance par des gorges profondes, en aval immédiat de l’Argentière. La forte érosion torrentielle a dégagé les filons de plomb argentifère contenus dans le quartzite. Les romains les connaissaient déjà mais ils ont surtout fait la fortune de l’Argentière au Moyen Âge. Le château médiéval d’Urgon, dont a pu deviner les ruines, rappelle l’importance stratégique des mines. L’exploitation devenue industrielle décline après la guerre de 1871 pour s’arrêter définitivement en 1908, frappée par les inondations torrentielles du torrent du Fournel et l’épuisement des filons. Les fouilles archéologiques débutées en 1991 ont mis à jour des vestiges sensationnels. Les galeries se visitent ainsi que le village minier avec ses forges et ses ateliers. Ce vallon est inhabité car particulièrement inhospitalier en hiver à cause de la neige mais surtout du froid glacial − -32°C enregistré en janvier 2005. Cette froidure est devenue un atout pour l’escalade glaciaire, le vallon du Fournel étant le site de référence et lieu de rassemblement annuel des glaciéristes. Les derniers concurrents grimpant sur de la glace abîmée, piquetée par les pitons et les piolets mettent néanmoins leur vie en péril. Il y a un ou deux morts tous les ans.
Une des particularités de la Vallouise est que le cours d’eau principal qui la draine, change de nom à chaque confluence, résultat de lubies de géographes. En fin de parcours, le torrent du glacier Noir devient la Gyr après de multiples appellations, puis la Gyronde à Vallouise, après sa confluence avec l’Onde, pour se jeter dans la Durance à L’Argentière. Petite note pour les curieux : Gironde et Garonne dans le sud-ouest ont la même étymologie que Gyronde, la rivière des rochers. À Bassée en Balade, les jambes et la tête ! Cette profusion d’eau est très bénéfique pour les habitants des villages qui ne paieraient qu’un forfait de 40 € annuel, encore en 2013 !
Après cet intermède encyclopédique, ayant gagné notre point de départ, photographié sous toutes les coutures les quelques chardons encore fleuris, nous attaquons une montée progressive sur un chemin en encorbellement sur la rive gauche des gorges de la Balme, à travers cet ensemble recouvert de grès, les grès de Champsaur. Nous traversons un troupeau de moutons et caressons Cadichon, un âne bien aimable et curieux, surtout intéressé par le contenu de nos sacs dans lesquels il plonge volontiers le museau. Nous franchissons de nombreuses cascades et torrents par des ponts en planches parfois branlantes. Voici la Grande Cabane (1936 m). Les névés, très nombreux cette année à cause de l’hiver long et froid, coupent fréquemment notre chemin. Certains d’entre nous s’empoisonnent à les contourner, quand c’est possible, en dérapant dans les schistes. D’autres, emmenés par Daniel, se lancent prudemment sur cette neige plus ou moins fondante, s’essayent aux descentes en glissade, debout et non sur les fesses, de préférence, ou avancent précautionneusement les pieds dans les traces faites par Daniel ou Jean-Luc, lors d’une traversée à flanc de pente. La pluie s’est invitée en milieu de matinée, s’intensifie et ne facilite pas notre évolution sur une montée rude et glissante.
Nous arrivons lentement à 2235 m où un abri s’offre pour un possible pique-nique mais le groupe préfère continuer jusqu’au col d’autant qu’il fait froid et que la pluie ne cesse pas.
Vers 13 heures 30, nous atteignons le Pas de la Cavale (2671 m) qui permet de rejoindre la vallée du Drac de Champoléon et le refuge du Pré de la Chaumette. Nous laissons la piste vers le col de l’Aup Martin qui fait la liaison avec la Vallouise.
Nous ne sommes pas trop loin du refuge donc nous prenons le temps de quelques photos du paysage grandiose qui nous entoure, des lacs encore bordés de névés, des sommets du massif de l’Argentera, avant d’attaquer la descente.
Après-midi, Pas de la Cavale (2735 m) – Refuge du Pré de la Chaumette (1790 m)[ ]
Le chemin bien visible sinue dans une zone escarpée et abrupte composée de blocs et de schistes. Puis l’herbe s’impose dans cette pierraille et nous descendons tranquillement vers un torrent que nous franchissons sur une passerelle pour continuer sur la rive gauche du Drac. Il faut rester vigilant car il a beaucoup plu, la terre du sentier est une patinoire. Quelques chutes sans conséquences, sauf JPP qui se foule une cheville et Joëlle qui s’est fait une grande frayeur, entraînée dans la pente herbeuse. Elle a pu opérer un rétablissement salutaire en s’agrippant aux plantes !
Voici le chant agréable et cristallin du torrent et le refuge qui se profile, jolie bâtisse en pierres, bien intégrée dans le décor.
16 heures et nous pouvons enfin sortir nos pique-niques, installés sur les tables en bois plantées dans la prairie. Le Pic de la Cavale nous tend sa cime (2985 m) mais ce sera pour une autre fois.
Fin d’après-midi tranquille, bien à l’abri de la pluie qui redémarre, en attendant le dîner et son potage chaud.
Du pont des Deslioures au refuge du Pré de la Chaumette[ ]
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