Arras-Merlimont (été 2003) littéraire

De Entre Amis
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D'Arras à Merlimont, 4 au 8 août 2003
rédigé par Michèle Tainmont


C'était une vieille idée qui me trottait dans la tête depuis… vingt ou trente ans : pourquoi faire cinq cents, sept cents, ou mille kilomètres pour randonner plusieurs jours, alors que le département du Pas-de-Calais est si beau et si varié dans ses paysages ?

De plus, dans la région, tout le monde va à la mer, sur la Côte d'Opale, en voiture, par des itinéraires répétitifs qui ne sont que des moyens et seule importe la fin : arriver le plus vite possible. De temps en temps, mais si rarement, on fait un petit détour ou une halte pour voir Hesdin ou le début de la vallée de la Créquoise, mais pas grand chose vraiment, car « on n'a jamais le temps ».

Alors cette année, j'étais décidée. Je devais faire cette randonnée avec une amie… qui s'est cassé le pieds en juin… Projet différé, mais en partie préparé. Le trajet était fixé : le GR 121, les étapes à peu près découpées, le tout reconstitué à partir des itinéraires en boucle présentés dans le topo-guide « Tours dans le Pas-de-Calais », car il n'y a plus de topo-guide du GR. J'envisageais vaguement (et sottement) de faire la randonnée toute seule. Lors de la semaine en Bretagne, j'ai parlé du projet, sans vraiment croire qu'il serait jugé intéressant, et, à mon grand étonnement, immédiatement, Frédérique m'a dit : « Je viens avec toi, mais après le premier dimanche d'août. » Frédérique, toujours, a sollicité Nathalie qui avait quelques problèmes familiaux à régler avant de s'engager, ce qui fut fait rapidement. Et voilà notre groupe de randonnée constitué.

J'avais 15 jours pour fixer les étapes et surtout trouver les hébergements correspondants. Quatre jours avant la date de départ prévue, je n'avais toujours pas d'hébergement pour la seconde nuit : l'office de tourisme de Frévent m'avait bien envoyé une liste, mais dans un rayon de vingt kilomètres autour de la zone qui m'intéressait : quand on se déplace à pieds, les kilomètres n'ont pas la même longueur que lorsqu'on se déplace en voiture ! En lisant les pages blanches de l'annuaire téléphonique à la rubrique des communes qui étaient sur notre parcours, j'avais trouvé : « M Roussel, camping ». A tout hasard je téléphonai : nous pouvions avoir un logement en mobil-home pour 3 euros par personnes. Je craignais le pire, mais il n'y avait pas le choix. Bilan : il y a sur ce trajet, − comme bien souvent − des difficultés d'hébergement même s'il y a probablement un nombre relativement important de chambres d'hôte, il faut en avoir la liste exhaustive (elles ne sont pas toutes répertoriées par les Gîtes de France), il n'y a plus d'hôtel à Avesnes-le-Comte, ni à Frévent! Pour le ravitaillement, mêmes difficultés : nous avons suivi la vallée de la Canche et traversé de nombreux villages, un tous les deux kilomètres et demi parfois, mais il n'y a ni épicerie ni café; heureusement, il reste encore dans chaque village un cimetière et donc un point d'eau pour se désaltérer. Nous ne sommes pas mortes de faim, ne serait-ce que parce que mes acolytes se sont embarquées avec des viatiques conséquents. Nathalie avait dit qu'elle ferait deux cakes, soit, mais sans préciser que les siens mesurent chacun… cinquante centimètres de long. Elle n'a pas voulu s'en défaire en partie au moment de partir et leur taille ne leur permettait d'entrer que dans son sac, qui finalement pesait douze kilos! Malgré nos recommandations, elle n'a compris la nécessité impérieuse de l'alléger qu'à la deuxième étape. Frédérique avait pris des kilos de tomates, une douzaine d'œufs durs et des soupes en sachet à faire cuire (elles ont fait la randonnée jusqu'à Merlimont…), et des biscuits… Les amandes que je transportais ont eu aussi pour la plupart le bonheur de voir tous les paysages jusqu'à la mer. Du côté des vêtement, nous avons été plus raisonnables (sauf les cinq tee-shirt de Nathalie…). Nous nous sommes délestées un peu en cours de route : sac à viande et K-way abandonnés au milieu de la troisième étape chez une tante de Nathalie, et quelques affaires ont été confiées le soir à Hesdin aux bons soins de cette amie qui devait faire la randonnée avec moi.


On aura compris que cette randonnée fut une épreuve, au sens propre du terme, assez différente de la randonnée en Bretagne : une randonnée itinérante et non en boucle, nous voulions arriver à Merlimont; de plus, nous n'avions pas de « chef » pour penser à tout à notre place, ni de voiture suiveuse pour apporter le repas de midi ou pour nous permettre de nous reposer un après-midi ; pas de demi-pension pour le soir mais la nécessité de trouver un moyen de se restaurer; nous étions toutes les trois embarquées dans la même galère, j'en avais peut-être une conscience plus forte que mes deux comparses, puisque j'avais la responsabilité de l'itinéraire et de l'hébergement. En plus, nous avons « choisi » «  la semaine de la canicule » : à Fillièvres, le thermomètre chez la tante de Nathalie indiquait, à l'abri, quarante-sept degrés à 14 heures, et nous marchions sur une petite route goudronnée. Cependant nous n'avons pas trop souffert de la chaleur, moyennant quelques précautions : s'arrêter très souvent pour boire pendant la période de grosse chaleur entre onze heures et quatorze heures, « sauter » de l'ombre d'un arbre à l'ombre du prochain à quelques centaines de mètres pour faire baisser un peu la température du corps surchauffé par le soleil au zénith et la réverbération sur le chemin blanc et les chaumes qui l'entourent… À partir d'Hesdin, heureusement, nous avons commencé à sentir les effets de l'air marin plus humide. Sans forfanterie, nous avons plus souffert de la chaleur chez nous à Lens ou à Arras la deuxième semaine d'août. Pendant la randonnée nous étions presque constamment dehors et profitions du moindre souffle d'air.


Mais en revanche, ce fut une expérience humaine extraordinaire. D'abord trois « dames », qui marchent sous la chaleur alors que les gens se traînent dans leur maison, sous la douche ou devant leur mobil-home, et se plaignent de la température, ça attire la sympathie, disons même sans modestie que nous nous sommes taillés partout un franc succès lorsque nous disions que nous venions… d'Arras et que nous allions à… Merlimont. Si on dit qu'on a fait de la randonnée en Bretagne, en montagne, loin là-bas, on vous dit, sans beaucoup de conviction, « C'est bien », mais si vous dites que vous faites Arras Merlimont, les gens sont d'abord incrédules puis admiratifs. Et avec l'esprit facétieux de Nathalie, on arrive à ce dialogue surréaliste, au camping de Reubreuve-sur-Canche peuplé uniquement d'habitués venant de… Lens-Liévin, avec « quelques étrangers », je veux dire, une famille d'Arras et une autre de Roubaix :

la dame
− Vous allez où ?
Nathalie
− À la mer.
la dame
− Pourquoi vous n'y allez pas en voiture ?
Nathalie
− On ne peut pas se garer !
la dame
− !!!!

L'accueil le plus sympathique et le plus étonnant fut la soirée passée dans ce camping. Nous arrivons à une première entrée : une dame vient vers nous, j'explique brièvement ce que je cherche, elle a l'air d'être au courant de notre arrivée, elle s'empresse pour nous indiquer où nous pouvons trouver le responsable du camping, un voisin de caravane se joint à elle, nous donne spontanément les numéros de téléphone, puis la dame nous propose de nous accompagner à travers le camping pour chercher le responsable que nous trouvons effectivement sur sa bicyclette; celui-ci, sympathique, nous conduit vers un mobil-home qu'il vient de finir de caler pour nous, le voisin Monsieur Irénée, soixante-quatorze ans − ancien commerçant − «  riche, car il a douze appartements à Saint-Pol »… nous apostrophe gentiment, son épouse, soixante-dix ans, ancienne factrice, nous propose et nous apporte bassine « pour prendre un bain de pieds froid », un seau rempli d'eau pour que nous n'ayons pas à aller aux sanitaires, qui sont à vingt mètres; elle nous prêtera encore casserole avec eau chaude, balai, fauteuil de jardin, etc… Le patron a annoncé que « trois belles filles » (mais oui!) allaient s'installer pour la nuit dans le mobil-home. C'est l'événement! Pendant que je prends ma douche, une autre voisine se dirige vers Nathalie en lui tendant une brosse : «  Mon mari veut que vous lui frottiez le dos! »… Il paraît que les choses en sont restées-là ! Tous les gamins du camping nous disent bonjour très gentiment et poliment, nous sommes ravies. Avec un accueil pareil on oublie l'absence d'éclairage dans le mobil-home, la fraîcheur de la nuit (il n'y avait que deux couvertures pour trois, le pull et le K-way ont là trouvé un usage), les batailles de Nathalie avec sa couchette trop courte… À Fosseux (première halte) l'accueil en chambre d'hôte fut d'une qualité plus relevée tout en étant aussi bienveillant. L'hôtesse réservée, présente, prévenante et efficace, son compagnon plus loquace, voire trop « présent »; tous deux pratiquent la randonnée, aussi l'hôtesse nous avait-elle préparé un repas, alors qu'au téléphone elle m'avait dit qu'elle n'assurait pas cette prestation mais avait semblé hésiter; nous avons été accueillies avec une bouteille de cidre savouré sur des chaises longues dans le jardin; le repas pris avec nos hôtes toujours dans le jardin fut copieux, frais et nourrissant, avec apéritif, vin rosé et rouge et… génépi pour terminer. Frédérique a sympathisé avec notre hôte, ancien instituteur dans la région de Frédérique et ils ont passé un long moment à faire le tour de leurs connaissances communes en les classant en deux catégories : les « déjà morts » et les « encore vivants »! Bien sûr, notre hôte nous a indiqué un « raccourci » pour rejoindre notre GR, raccourci qui nous a en fait éloigné et nous a fait marcher dans de hautes herbes mouillées qui furent la cause de mes premières ampoules. Nous avons constaté plusieurs fois que les indications ne sont efficaces que si on connaît déjà la route; par exemple l'indication ultérieure : « Vous trouverez un café en haut de la côte » nous a amené à parcourir à grandes enjambées trois côtes successives au rythme de « un coca-un coca », sans jamais rencontrer le dit-café, d'où une petite déprime de Nathalie : « Je veux mon coca! », « J'ai mal aux pieds », « Le sac est trop lourd »… De même, « Au bout du chemin à droite » signifie non pas au bout du chemin, mais, peut-être, au bout de la partie goudronnée, ce qui nous a fait manquer, au désespoir toujours de Nathalie, le « Rendez-vous des chasseurs » dans l'étape Hesdin-Montreuil. À Montreuil, nous étions vaccinées : l'épicière nous indique que la seule boulangerie ouverte est à « moins d'un kilomètre », Nathalie a compris « à droite » , j'ai compris « à gauche » : au bout de vingt mètres, nous revenons à l'épicerie pour acheter… du pain de mie!


L'accueil de la part des populations locales fut parfois plus bourru qu'à Fosseux ou Rebreuve. Ainsi, dans le premier et rare café de village rencontré, à Berlancourt-le-Cauroy, tenu par une vieille dame, tous rideaux baissés à cause de la chaleur, vers 13 heures : il y a deux pièces, l'une à droite, semble privée, l'autre à gauche contient certes des paquets mais aussi des tables. Nous nous installons à gauche et attendons. Rien ne se passe. Puis un monsieur rentre et se dirige « à droite ». Nous faisons comme lui, et nous rencontrons alors la vieille dame :

− « Est-ce qu'on pourrait avoir du café ? demande Frédérique.
− Oh! mais c'est que je n'ai pas fait de café aujourd'hui ».

Soit. Frédérique demande alors :

− Est-ce qu'on peut avoir de l'eau chaude? On a des dosettes de nescafé.
− Mais du nescafé, j'en ai, mais je ne sais pas où il est. »

Bon. Finalement, nous buvons le nescafé local sous l'œil inquisiteur de la vieille dame qui s'assoit à une table plus loin.

Ou encore, avant Hesdin, après l'épisode du coca-manqué-par-absence-de-café-en-haut-de-la-côte, il fait très chaud, nous allons manquer d'eau, pas de cimetière dans les parages, nous sommes à la sortie d'un hameau, il faut trouver de l'eau, je suis décidée à en demander à la première personne que je rencontre. Une femme avec barbe et moustache blanches de plusieurs jours, se déplace avec difficulté. Je la croise devant l'entrée du jardin d'une très modeste maison. Dialogue :

« Non, il n'y a pas de café par ici.
− Alors je vais demander de l'eau dans cette maison.
− C'est la maison de mon ami.
− …
− Mais nous ne vivons pas ensemble.
− …
− Je vais lui demander.
− … »

La dame entre dans la maison, bruit de voix, ressort quelques minutes plus tard :

« Oui, vous pouvez entrer. »

Nous entrons dans une pièce sombre, basse, deux hommes attablés, qui s'adressent à nous beaucoup plus aimablement que la dame ; je ne vois que l'évier, à ma droite avec le robinet et l'eau fraîche. Nous remplissons rapidement nos bidons et nous sortons après remerciements. Thème de discussion ensuite : lequel des deux est « l'ami de la dame », opinion divergente de Nathalie et de Frédérique… Je m'abstiens.



Quant à la balade elle-même, la première impression a été celle d'un dépaysement complet, dès la première heure de la première journée. Parties de Sainte Catherine, nous avons pris l'itinéraire du GR (dépourvu de balisage) aux Grandes Prairies; une fois les dernières maisons dépassées, à quelques mètres, en haut d'un chemin, deux biches ont détallé devant moi, et nous étions à quelques centaines de mètres de la zone commerciale de Dainville… De même, lorsque nous avons traversé la nationale qui va vers la mer à Pont-du-Gy, nous avons eu le sentiment de voir sous un angle beaucoup plus attrayant, des lieux que nous ne traversons d'habitude que sur le bitume et derrière d'autres voitures. Aussi, quand notre hôte de Fosseux nous a dit que nous étions « tout près d'Arras » (à 6 heures de marche quand même pour nous!), nous lui avons fait part de notre impression de total dépaysement. Bref il n'y a pas besoin d'aller loin de chez soi pour être « ailleurs ».

Lors des deux premières étapes, nous avons été surprises par le nombre de châteaux rencontrés, là aussi tout proches d'Arras : château XVIIIe siècle de Fosseux, château de Givenchy-le-Noble et sa double allée de tilleuls (classée), château du XVIIe siècle de Lignereuil ; un circuit VTT des châteaux est d'ailleurs fléché.

À partir de Berlancourt-le-Cauroy, nous avons rejoint la vallée de la Canche, et nous ne l'avons plus quittée jusqu'à Montreuil. Le GR la suit jusqu'à Hesdin, puis s'en écarte un peu pour monter sur le plateau entre Hesdin et Montreuil. L'étape qui nous a conduites à Hesdin était longue, 9 heures de marche, et très chaude; les ampoules se multipliaient sur les pieds de Frédérique et les miens…, ce qui avait l'avantage, aux dires de Frédérique, de ralentir mon allure; aussi le lendemain, avons nous pris la décision d'abandonner le GR pour suivre la vallée par la départementale 113. Certes, entre Contes et Beaurainville, nous avons dû subir le passage des voitures, mais après la vallée de la Créquoise, la petite route est beaucoup moins fréquentée et c'est tranquillement que nous sommes arrivées à Noyelles-sous-Montreuil, même s'il y a eu un cafouillage à propos de l'hébergement, puisqu'il y a dans cette petite commune, plusieurs générations de « Madame Fourdrinier tenant des chambres d'hôtes »…


Pour rejoindre Merlimont, il fallait, le lendemain, quitter le GR. Nous avons pris des chemins jusqu'à Sorrus, une petite route jusqu'à Saint Aubin, et comme nous avions hâte d'arriver, nous avons ensuite pris la route pour les derniers kilomètres : à 14 heures, nous étions sur la plage de Merlimont. Photos, congratulations, etc…


Annick avait gentiment proposé de venir nous rejoindre en voiture pour nous ramener ensuite à Arras : retrouvailles, bain de mer, bain de soleil, douche, repas en commun au Bar de la Plage. Malgré l'ouverture des baies vitrées, nous avons eu plus chaud que sur nos chemins en plein midi!

Retour à Arras, puis à Lens et à Béthune pour Annick dans la soirée.


Je joins le tableau des étapes que nous avons parcourues, avec les adresses des hébergements, si des randonneurs sont tentés par cette belle balade.

En outre, le topo-guide « Tours dans le Pas-de-Calais » présente douze itinéraires de sentier, sans compter toutes les combinaisons; il doit être possible de faire d'autres randonnées du même type dans la région.

Joëlle (ou Michèle) Tainmont

Lens, le 7 septembre 2003.